Co-production d’ARTE et de Premières Lignes Télévision

« Une contre-histoire de l’Internet »

Une contre-histoire de l’Internet sous forme d’un documentaire très intéressant, donnant la parole à de nombreux acteurs historiques du développement d’internet. Le documentaire a son propre angle, sa propre perspective, clairement teintée politiquement — ce qui est inévitable. L’approche critique du documentaire Jean-Marc Manach et de Julien Goetz, réalisé par Sylvain Bergère, a le mérite d’explorer les ambiguïtés fondatrices du web avec un regard (souvent) non moralisateur, ce qui permet de voir la création d’internet depuis son autre face.

Démocratie et hiérarchie sur internet

Sans vouloir me lancer dans un long commentaire ce cette vidéo très riche, j’aimerais tout de même noter un ou deux points, afin de continuer le débat.

Ce qui est le plus frappant, c’est le fait qu’internet soit façonné, dans son être même (si je peux me permettre une expression philosophique) par des groupes et des coalitions de personnes qui le développent à partir d’intérêts et des convictions idéologiques extrêmement différents. Le concept de démocratie revient souvent, mais sa définition est très différente selon les cas : de l’armée américaine aux hippies, en passant par ceux qui cryptent des réseaux sociaux en violant le principe de souveraineté des États, qui est garanti par le droit international et les Droits de l’homme, afin de défendre la liberté d’expression, il y a tout un spectre d’idéaux, de buts, de projets enchevêtrés dans une confusion babylonesque qu’il ne sera jamais possible de démêlé complètement.

Le documentaire donne une large place à la critique de « la hiérarchie » et montre comment internet a « permis à chacun de s’exprimer », changeant complètement les modes de communications médiatiques auxquels nous étions habitués. Je pense que la principale faiblesse de ce documentaire et de ne pas montrer qu’un aspect hiérarchique fort reste au coeur d’internet et que cet aspect en est constitutif : vouloir l’ôter reviendrait à détruire internet. Il y a bien, comme le dit un sociologue interviewé, une auto-régulation du web, qui garanti une certaine qualité du contenu de ce que l’on peut trouver sur internet, dans tous les cas en excluant ce qui est le plus mauvais. Mais ce qui échappe à l’attention est que ceux qui ont créé internet et continuent de le créer sont des personnes brillantes, intelligentes, qui ont la force comprendre le code et d’y contribuer. Que 50 % des personnes de la population puisse un jour développer le code me semble une exagération complète. Dès que l’on se plonge dans le code, quel qu’il soit, l’on sent, l’on perçoit l’intelligence exceptionnelle de ceux qui l’ont développé. Le code possède une structure, une qualité, une logique qui ne saurait procéder d’un processus démocratique pur, bien que le code soit bien, en effet, une oeuvre commune qui n’a pas été pilotée par une hiérarchie.

Je voulais simplement lancé cette piste de réflexion, qui demande d’être approfondie. Cela nécessiterait d’approfondir la question de la relation intrinsèque entre qualité et hiérarchie.

Enjeux des années à venir

Cette contre-histoire de l’internet ouvre des pistes de réflexion et dévoilent des enjeux majeurs pour les années à venir. L’une des immenses qualité du documentaire est de montrer qu’une civilisation donnée tend toujours à réagir à partir de ses habitudes et que lorsque qu’une évolution technologique majeure change substantiellement la façon dont les êtres humains communiquent et acquièrent des connaissances, s’appuyer sur des habitudes forgées à un moment où cette technologie n’existait pas conduit à prendre de mauvaises décisions, qui sont réductionnistes, car elles ne tiennent pas compte de ce qui est neuf.

La question du copyright

Cela est vrai en particulier dans le domaine du copyright. Mettre sur pied d’égalité le vol classique, où la personne volée est privée de son bien avec la duplication d’un CD ou d’une vidéo qui ne prive personne d’un bien réel n’a pas de sens. Le droit à des royalties sur la création d’une oeuvre n’est pas mauvaise en soi (en cela je ne suis pas d’accord avec la plupart des intervenants du documentaire), car sans elles, de nombreux auteurs ne prendraient plus le temps ni le risque économique de créer des oeuvres (livres, films, etc.) et cela conduirait à un appauvrissement culturel. Mais il ne faut pas oublier que les lois de copyright sont des abstractions juridiques inventées assez récemment dans l’histoire de l’humanité. Les droits d’auteurs ont un sens, mais ils doivent être révisés en profondeur, dans leur fonctionnement même, étant donné le coût marginal de duplication d’une oeuvre sous format numérique, ainsi que la quasi instantanéité avec laquelle elle peut être transmise.


 

J’aimerais recevoir les nouveaux articles de ce blog par email